All I want is to feel a bit || Ft. Seven

All I want is to feel a bit

Je marche depuis combien de temps ? Je suis surement bien assez éloigné de Sapheris à présent. J'ôte ma cape noire, libérant ces lourdes paires d'ailes qui pendaient mollement en dessous dans l'espoir vain de les cacher. Je leur ai peut-être rappelé leurs démons en apparaissant ainsi. Je leur ai surement donné la peur au ventre en leur parlant des Éternels. Un bataillon qui rappelle à quel point la magie a été utilisée à des fins peu honorables lors de la guerre. Une fable dont on n'aurait jamais voulu confirmation.

Je retire aussi ma guitare fichée dans mes plumes, ça va me prendre un temps fou de les défroisser bon sang… C'était moins dur quand j'étais humain. En plus je vois pas ces plumes qui ne sont pas en place là, j'en ai trop ! Je suis pas aussi flexible qu'un oiseau moi… Est-ce que je viens vraiment d'envier un oiseau là ? Il semblerait bien. Je vais m'en griller une, c'est une mauvaise habitude, il paraît. Une mauvaise habitude que j'ai prise il y a combien de temps ? Après ma deuxième ou troisième réincarnation, je suppose.

La première bouffée fait toujours le même effet. La sensation d'être encore bel et bien vivant. Cet état dans lequel on se dit que si on peut se détruire la santé ainsi… C'est qu'on peut peut-être faire encore quelque chose de notre vie ? Le tube de nicotine pendu à mes doigts. J'expire la fumée empoisonnée longuement, ses volutes se fondant dans l'air. Je reprends ma cape que je glisse dans mon sac, prenant mon instrument à la main, je dois continuer à marcher. Je ne veux pas croiser quelqu'un de Sapheris. Quoique… Marcher ? Qui s'abaisserait à marcher quand il a des ailes ! J'oublierais presque leur existence si elles n'étaient pas aussi lourdes.

Bien… Comment fait-on déjà ? Je dois me souvenir que ces muscles existent et les faire fonctionner. J'aurais beaucoup aimé avoir un mode d'emploi avec ces trucs. Parce que déjà avec une paire, je sais pas quoi faire, mais là, non seulement j'ai des ailes, mais en plus, j'en ai trois paires. Puisqu'une seule, c'était pas suffisant, bah non ! En serrant les dents, je me mets à faire battre ces membres supplémentaires. Ah, j'ai écrasé ma clope et merde. Tant pis. Le plus urgent c'est de partir au plus loin de cette ville de mages prétentieux.

Je m'envole donc gauchement, avec la grâce d'une poule bourrée. Volant avec une absence quasi total de majesté. Comment ils font les anges et les séraphins pour voler aussi bien sans déconner ?! Moi, j'ai l'air d'un vieux pigeon qui a du plomb dans l'aile… Ils volent si haut… Je suis à deux mètres du sol, c'est déjà bien. Je sais que ces muscles, qui sont tout nouveaux pour moi, ont été utilisés par l'ancien porteur de ce corps, je me fatigue vite, certes, mais c'est supportable.

Je sens tout de même les forces faiblir, je ne saurais dire depuis combien de temps je vole, mais durant un virage, je me permets de regarder derrière moi en descendant. Grossière erreur, les cris des marchands me signalent ma connerie, mais il est trop tard pour moi. Je tente à grands coups d'ailes de ralentir et j'ai même l'espoir de m'arrêter — d'accord, c'est un très maigre espoir —, tombant sur mon postérieur devant les bêtes qui tirent le chariot. Je me protège avec mes ailes, un réflexe musculaire qui m'arrange bien. Je me relève en toussant, reculant de trois pas en serrant ma guitare, miraculeusement intacte, je ne veux pas tester la force des canassons. Un peu pantois, je finis par baisser mes ailes en m'excusant à mi-voix. Je n'aime pas interagir avec les gens…

" Désolé. Je… J'ai une aile un peu abîmée. "

Un demi-mensonge, malgré une aile légèrement bandée, ces bandes sont justes là pour empêcher l'articulation de faire un mouvement qui me gênerait. En tout cas, ça n'explique en rien le fait que je vole comme si j'avais bu un alcool artisanal bien corsé. Cela peut au moins excuser l'altitude ? Non ?

All I want is to feel a bit

   
Ballotté de gauche à droite dans cette fichue charrette qui tombe en morceau, je m’endors à moitié. Si ce n’est pas pour cette paille qui me démange et me donne des envies de meurtres chaque fois qu’un fétu s’immisce dans mon manteau. Bordel, mais ils pouvaient pas transporter, genre, des peaux de Phaguar ? Au moins j’aurais eu un truc plus agréable qu’un sac de riz pour me caler la tête. Non, il a fallu que je me tape la paille, le riz et un tas de jarres aux contenus plus que louche. J’ose même pas imaginer l’odeur de ces machins…


Au moins, il y en a qu’un qui s’éclate dans ce joyeux bordel. Croutard se crée des tunnels dans la paille et je peux l’entendre grignoter contentement les graines qu’il y trouve. Si je fais pas gaffe, je risque de le perdre dans un des ballots. Ça fait des heures qu’on est en route, je me demande bien quand est-ce que ces gars vont faire une pause. J’ai besoin de me dégourdir les jambes et de pisser un coup. Sérieux, ils tiennent comment ? Je jette un œil à la frimousse blanche de Croutard et lui balance.


“Toi tu t’en fiches, tu te soulages dans la bouffe des autres sans le moindre complexe.”

Il me lance un regard fourbe en croquant son épi de blé. Je sais qu’il me comprend le petit con, mais il me donne rarement une réponse. Peut-être qu’il m’en veut de l’avoir appelé Croutard, qui sait… C’est bien comme nom, ça lui va bien. Il bouffe tout ce qu’il peut trouver. La charrette dans laquelle je me trouve s’arrête brusquement et je me retrouve sous un ballot qui vient de me tomber sur la gueule.


“Mais bordel, vous foutez quoi à vous arrêtez comme ça!!”

Oui, je sais, ma voix est étouffée par les touffes de pailles que j’ai dans la tronche, mais c’est pour la forme, d’accord ? Je me dégage en grognant et Croutard part se cacher sous mon manteau, dans une poche cachée. Enfin, c’était pas une poche à la base, mais un trou qu’il s’est fait royalement pour son propre confort. Si j’avais su, j’aurais jamais accepté ce cadeau… Enfin, il est cool quand même et il a une bonne bouille. Je m’extirpe de ma prison de paille et saute à terre en inspirant une longue goulée d’air. Je m’étire tout en faisant le tour du chariot. C’est quoi ce bordel ? Les chevaux sont en panique totale et les marchands essaient vainement de les calmer. Je lève les yeux au ciel, car ils ne savent vraiment pas s’y prendre. Ils y vont avec de grands gestes et leur hurlent dessus dans l’espoir de les rappeler à l’ordre. Comme si cela allait aider… Bande d’imbéciles. Je m’approche du cheval de tête et pose ma main sur son encolure.


“T’en fais pas grand, c’est qu’un pigeon bourré. Il te fera aucun mal.”

Les animaux ont un langage particulier et ne me répondent pas tous de la même façon. La majeure partie parle par images et émotions. La première fois que j’ai été confronté par ce nouveau talent, ça m’a bien fait flipper. Un chien enragé m’avait repéré lorsque j’essayais de piller l’arrière-boutique de son propriétaire. Peu honorable, je sais ! Mais quand on n'a rien à se mettre sous la dent, les quignons de pain rassis, ont l’air carrément appétissant. Je laisse le vieil hongre se calmer doucement et me rapproche dudit pigeon bourré. Il a l’air dans un sale état… C’est quoi ce cirque, avec ses ailes bancales…


“Hey, tu fais flipper les chevaux avec tes ailes à la con ! Tu peux pas faire attention en atterrissant ?!”

Je place mes mains sur les hanches et le toise d’un regard agacé.
   
 

All I want is to feel a bit

   
   Je regarde les marchands s'exciter. Mes maigres excuses semblent s'être perdues dans les hennissements apeurés des chevaux. J'ai entendu brièvement quelqu'un beugler la bouche pleine. Je fais battre mes ailes dans mon dos pour replacer mes plumes et ensuite les replier. Je reste un peu planté là comme un con, comme si j'attendais quelque chose. Est-ce une vaine forme de curiosité ? Vont-ils m'en vouloir ? Je m'amuserais bien si cela tourne au vinaigre, eux peut-être moins.

Un petit bonhomme sort des ballots de paille, tiens, il en a encore dans les cheveux. Alors qu'il m'apostrophe violemment, je ne peux m'empêcher, mais éclater de rire. Sa crédibilité ? Aussi élevée que mes capacités de vol. Le gringalet espère me faire peur ? Bah alors le nain, on se croit menaçant. Je glisse une main dans ma poche en faisant glisser ma guitare dans mon dos. Je comble la distance qui me sépare de l'individu, sans un mot. Je tends la main, vivement, et retire un bout de paille de ses cheveux.

" Descends de tes grands poneys princesse. Je me suis pas crash dans ton chariot non plus, tu devrais t'estimer chanceux. Bon vu cette formidable coupe paille, j'imagine que l'arrêt a été brutal. "

Je déploie une aile, révélant les bandes serrées, pointant un doigt vers celle-ci, ma voix, lasse, s'élève de nouveau alors que mes yeux bleus viennent se planter dans ses prunelles dorées alors que je fais un pas de plus, l'écrasant de ma stature. Empiéter sur son espace vital m'amuse quelque peu, je dois l'admettre.

" J'ai du mal à bien maîtriser le bousin, c'est difficile avec ça, ok ? Je me suis excusé donc ne fais pas ta mijaurée. Donne un sucre à ton canasson et me casse pas les couilles. "

Il croit franchement que je vais m'inquiéter d'un poney qui panique ? La vie est un champ de bataille, si je devais m'inquiéter pour une monture, ma vie serait bien triste. Je le dépasse sans un regard de plus, grimpant à l'avant pour poser une main sur l'épaule du marchand. Je lui tends une pièce d'or qu'il fourre volontiers dans sa bourse.

" Navré pour le désagrément mon ami. Puisse le ciel être avec vous. Et courage avec... " Je désigne l'individu aux cheveux blancs. " Lui. "

Je ne le pense pas foncièrement désagréable, mais je ne peux m'empêcher d'être un peu taquin. Le marchand semble vaguement reconnaître mon visage, cette lueur dans son regard me le fait savoir, j'aime pas ce genre de regard, ça me donne des frissons. Il prononce un nom. Et je secoue la tête.

" S... Saphiel ?
- Navré mon ami, vous devez me confondre.
- C'est vrai... Il paraît que Saphiel est mort il y a peu.
- Je suis bien triste de l'apprendre. Je suis navré d'avoir été sur votre chemin. Je vous souhaite une bonne route. "

Ouais... Saphiel, c'était son nom. Je me relève, marchant sur le banc de bois avant de sauter à terre. Moi, je ne suis pas Saphiel, mon comportement doit être suffisamment convaincant. La rumeur qu'un Éternel soit de retour ne peut pas avoir été ébruitée, Sapheris a bien trop peur de ce que cela représente. Je reviens vers ma position initiale, attrapant ma cape noire que j'avais délibérément laissée sur le sol. Je l'époussette et m'écarte de la route.

" Allez, remonte Petit, essaie de pas bouffer toute la paille avant qu'ils arrivent. "

Face à moi, c'est un gamin, un bébé, mais ça, il ne le sait pas. Je l'arrête avant qu'il n'ait l'occasion de repartir, sortant de mon sac un petit sachet. C'est une viande riche, provenant de Casfair.

" C'est du Phanlios séché. Cela se goûte au moins une fois dans une vie. Je t'en prie, prends-en, pour me faire pardonner de t'avoir fait tester le goût de la paille. "

Faire ami-ami ? Non, j'irais pas jusque-là. J'essaie juste d'être sympathique. Après tout, j'ai pas été cool à ne pas regarder devant moi. J'aurais peut-être dû en donner au marchand aussi. Mais il vaut mieux qu'il ne fasse pas de lien entre Casfair et moi, mon enveloppe corporelle avait ça dans son sac, je ne fais qu'en profiter...

Je mets un doigt sur mes lèvres, lui intimant de garder cette viande pour lui. Pour lui indiquer que ce n'est pas empoisonné, je prends moi-même un morceau de viande séchée que je viens mordre à pleines dents. Cette viande, c'est vraiment quelque chose. Les gens ne sont certainement pas aussi paranoïaques que moi, mais je sais que je préfèrerai qu'on me montre que je ne risque rien.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Nabot… Il se moque de moi en plus ce machin mal plumé ! J’hallucine ! Il croit vraiment que m’offrir son morceau de viande de luxe va me faire accepter de me faire traiter comme un nain ? Il se fourre le doigt dans l’œil, ma parole !


“Tiens, Croutard, profite de la bonne bouffe, c’est mieux que la paille, y paraît."

Je laisse glisser le morceau de viande dans ma poche-pas-poche de Croutard en arborant un sourire narquois et balaye tant bien que mal le restant de paille que j’ai encore dans les cheveux. Je crois que ça le fait buguer, tiens. Il me tape sur le système avec son air hautain là… Il a cru que sa taille de girafe était un atout majeur, ou quoi ? En plus, avec ses ailes tordues, il risque pas d’aller très loin comme ça. C’est à se demander s’il sait réellement voler.


“Il me semblait que les Séraphins était tout en élégance, mais je pense que t’as dû tomber du nid l’ami. Vous n'avez pas d'école de vols à Saphros pour les cas désespérés ?”

Oui, je sais, j’aurais pu trouver une meilleure réplique, mais Croutard me chatouille le flanc en bouffant son morceau de viande et je peine à garder mon sérieux. Bordel, je regrette presque de ne pas y avoir goûté… Ça doit être un carnage dans mon manteau, merde. J’aurais dû y réfléchir avant de lui donner. Et puis l’autre pigeon a l’air de bien profiter aussi… Impulsif, moi ? Bordel, parfois je me demande ce que j’ai à toujours agir avant de réfléchir… ‘Fin, je dis pigeon, mais vu ses ailes, je pense qu’il s’affilie plus à un perroquet mal plumé qu’autre chose. Même Croutard est plus élégant avec ses moustaches tordues. N'empêche… Ce serait bien pratique de pouvoir voler, ça m’éviterait de me taper ce genre de convois chaque fois que j’ai besoin de quitter un village. Genre quand mon visage commence à être trop reconnu comme étant celui du petit con qui vole en plein jour comme un gros effronté.


Je sais pas ce que ce drôle d’oiseau fout ici, mais c’est peut-être la personne idéale pour mettre un peu de peps dans ma vie de vagabond. Si ça se trouve, il y a même des Krakens à y gagner et ma foi, je dirais jamais non à quelque pièces d’or.


“Sinon, tu fous quoi, ici, sur une route paumée au milieu de nulle part ? T’as pas des trucs plus importants à faire, que de déranger ces pauvres bêtes ?”

Je pointe les chevaux encore paniqués derrière moi du pouce en ricanant.


“Genre, je sais pas moi, une quête de Séraphin tout beau tout joli ?”

J’aurais sûrement dû changer de ton si je voulais en apprendre plus sur lui, mais son air désabusé me plie de rire. C’est plus fort que moi.


J’efface mon sourire d’un revers de main et soupire en retirant les touffes de paille qui dépassent de mes gardes-jambes. Occupation futile, mais utile pour arrêter de me moquer de lui. Je crois que c’est peine perdue, rien que l’allure de ses ailes me fait repartir de plus belle. Franchement, il aurait carrément besoin d’un coup de main pour tout remettre en ordre. Dommage qu’il soit si hautain, je lui aurais bien proposé.
   
 

All I want is to feel a bit

   
   Une grimace se faufile un instant sur mon visage. Ah il me prend pour un séraphin. Je jette un mauvais oeil à ces foutues ailes surdimensionnées. Me pinçant l'arcade du nez. Je l'observe s'agiter, pense-t-il qu'il me blesse ? Devrais-je lui faire croire que je suis offusqué ?

" Ah... Ouhh... Touché... Ah ha. "

Je pouffe de rire. Va-t-il me détester ? Ce nabot est amusant. Il pourrait presque rendre mon existence intéressante. Si je ne me lasse pas avant. Je ne peux pas lui dire que je suis un imposteur. Cela me créerait des problèmes. Je détourne la tête, observant les chariots qui se remettent en marche.

" Tu es sûr de ne pas vouloir les accompagner ? " Je désigne les marchands qui partent au pas. " Ils vont pas t'attendre indéfiniment, tu t'en doutes. Puis qu'est-ce qui pourrait bien être intéressant à faire avec un de ces séraphins qui pète plus haut que son cul hein. "

Je devrais le dire sur un ton encore plus las. Je suis sûr que la crédibilité est à son paroxysme.

" Je suppose que tu es déçu. Les séraphins si raffinééééés... Et bien. Il semblerait que tu aies misé sur la mauvaise poule mon gars. Tu es vraiment sûr de vouloir nourrir ta poche vivante ? Le Phanlios séché ça se trouve pas facilement. Tu devrais essayer, vraiment. C'est triste que ce qu'il y a dans ta poche mange mieux que toi. "

Je lâchais ma dernière phrase tout aussi mollement que le reste, parlons de bouffe, ne parlons pas de moi. Je tendais de nouveau de la viande Phanlios à mon interlocuteur, posant finalement mon postérieur par terre, sur ma cape. Ajustant ces foutues ailes pour qu'elles ne me gênent pas.

" Tu sais petit. Dans ce monde, il y a des choses qu'il ne vaut mieux pas essayer de comprendre. J'imagine que tous les anges ne sont pas faits pour voler. Du moins, moi, je suis pas fait pour ça. En prouve l'état de mes ailes. C'est de loin le meilleur atterrissage que j'ai fait jusqu'à présent. Puis, je peux pas retourner là-bas. Au moins, je m'améliore. "

Un sourire de con. Voilà ce qui était placardé royalement sur mon visage. Ce n'est pas ce nabot qui arrivera à me vexer. Pour réussir cette prouesse, il faut très bien me connaître. Ce n'est plus le cas de qui que ce soit en ce monde.

" Tu t'imagines peut-être que je devrais vivre à Casfair ? Désolé de briser le conte que tu pouvais avoir commencé à créer dans ta petite tête. Je n'ai rien à faire là-bas, ni nulle part d'ailleurs. Quant à ce que je fais. Je fuis Sapheris ah ah. J'ai dû faire une escale pour leur annoncer un truc qui leur a pas plu. "

J'aborde de cela comme s'il pouvait savoir ce que je mentionne. Il pourrait prendre peur, après tout, je pourrais être quelqu'un qui a baigné dans de mauvaises affaires et livré les détails à Sapheris. Ou pire encore, je pourrais être un traqueur de malfrats et essayer de déceler sa nature pour mieux le faire arrêter. Qui sait. Je suis juste un connard qui traîne sur ces terres depuis trop longtemps. Enfin, je m'attends pas à ce qu'il devine ça, personne ne reconnaissait mon existence comme plus qu'une fable jusqu'à il y a peu. C'est pas un nabot accompagné d'une bestiole qui va savoir quoi que ce soit à mon sujet, sauf si peut-être il est Mira la voyante qui lit ton esprit... Rien que d'y penser, un sourire tout aussi con que le précédent se faufile sur mes lèvres.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Je regarde les charriots s’éloigner avec un visage dépité. L’envie de réinstaller sur ces ballots de paille ne me tente pas des masses pour être honnête. C’est même tout le contraire. Et puis cette route est empruntée par pas mal de voyageurs, s’il me gonfle trop, je peux toujours m’incruster dans un autre convoi pourrit vers un village quelconque. C’est pas comme si j’avais fait ça toute ma vie, hein ?


“J’en ai rien à battre d’où tu viens. Et qu’est-ce qui te dit que j’ai envie de te comprendre ? Tu pourrais bien te gratter le cul avec une brosse à chiotte tous les matins que j’en aurais rien à foutre.”

Je regarde le morceau de viande avec un peu plus d’envie cette fois-ci. Croutard a eu sa part royale, ce serait con de l’engrosser juste parce que cet oiseau me casse les couilles. J’arrive pas à suivre son charabia, depuis quand un ange ça sait pas voler ? C’est comme un chien qui sait pas aboyer, ça sert à que dalle et ça n’a pas de sens. Qu’il soit en cavale, ma foi, c’est cool, ça au moins je connais. Peu importe ses raisons, on en a tous une qui est plus ou moins valable. Tout dépend du point de vue. Je hausse les épaules avant de me mettre à grignoter le morceau de viande. Putain, je crois que j’ai jamais mangé un truc pareil ! C’est juste pas croyable, cette saveur, ça fond en bouche tellement c’est bon. Pas étonnant qu’il s’est défoncé le bide ce fichu rat. C’est limite du gâchis de lui avoir donné tout un morceau. J’espère que t’es reconnaissant, espèce de boule de poile ingrate !


Tout en mâchant copieusement la viande, je me penche en avant en souriant et pointe les plumes désaxées de ses ailes.


“Je crois que tu t’es froissé quelques plumes en atterrissant.”

Sans vraiment attendre qu’il me réponde je m’accroupi à côté de lui, sort Croutard de ma poche pour ne pas l’écraser et commence à démêler le gros bordel. Je sais pas trop pourquoi je l’aide en vrai. Peut-être de la pitié pour son air si las de tout. C’est quoi ce mec qui est blasé de la vie ? Sûrement que je fais une connerie, mais c’est pas comme si j’avais autre chose à foutre de toute façon. Je ricane lorsque je capte son regard surpris. Ouais, t’as vu, le petit nabot il t’emmerde, mais il te défroisse quand même ton sac à plumes.


C’est un vrai travail de malade, ça va me prendre des heures à tout remettre dans l’ordre… S’il me sort encore son air hautain faussé, je pense que je le balance Croutard dans la gueule en mode : rends-toi utile, espèce de rat bouffe tout ! Bouffe-lui son sourire à la con ! Je suis sûre que même ça, il en serait incapable. Il trouverait son chemin dans son sac pour se goinfrer encore un peu plus.
   
 

All I want is to feel a bit

   
   
" Loin de moi l'envie de t'en parler de toute façon. "

Une réponse du tac au tac. C'est vrai, j'ai pas du tout envie de parler de moi. C'est un truc que je préfère éviter au possible. C'est certainement pas à un nabot que je vais raconter une histoire aussi vieille que les guerres opposant éveillés contre évolués. Ah… Mouton me manque pour ça. L'art d'être là, juste… Être là. En silence. Il se met à mâcher la viande, je peux lire sur son visage et à la façon dont il se comporte que c'est agréable en bouche. Mon sourire s'efface alors que je me perds un court instant dans mes pensées, savourant l'absence de paroles du nain.

Absence de courte durée. Il pointe mes plumes emmêlées, abîmées, déplacées, froissées en me signalant quelque chose que je sais déjà. Je hausse les épaules, rien que l'idée de me contorsionner pour les démêler, j'ai mal partout. Une nouvelle sensation se faufile de mes plumes jusque dans mon dos, quelques frêles frissons venant courir le long de ma colonne. Je lui jette un regard surpris, il pourrait prévenir avant de toucher les gens… Non ? Je m'empourpre, embarrassé, détournant immédiatement la tête. Ok… Cela fait super longtemps que je parcours ces terres, c'est la première fois que j'ai des ailes et c'est la première fois que quelqu'un les touche. Je baisse la tête sur mes jambes en tailleur, venant attraper mes mains en déployant et refermant chaotiquement mes ailes. Ce sont pas des chatouilles. C'est pas désagréable… Mais c'est putain de déstabilisant. AU. SECOURS. J'inspire en maintenant mes ailes ouvertes. Je baisse un peu plus ma tête, sans un mot.

Qu'est-ce qu'il m'arrive… Il arrive pourtant que des séraphins se fassent toucher les ailes pour que quelqu'un les remette en place… Non ? Ont-ils tous cette sensation ? Ou c'est juste moi qui suis surpris par les sensations que ces plumes peuvent transmettre. Je bafouille, mon air de connard ? Envolé. Là, je suis décontenancé et c'est peu dire.

" Tu… Tu n'es pas obligé de faire ça ok ? Je… Enfin… Merci. "

Le dernier mot est soufflé, comme si le dire me brûlait la langue. Les lèvres pincées, je clos les paupières. Je ne sais pas si je dois apprécier ou paniquer encore plus. La dernière personne ayant été aussi proche de moi, c'était Loup. Loup qui me tenait dans ses bras alors que nous étions tous deux en train de nous vider de notre sang. Je touche machinalement mon flanc tandis que je me remémore le goût métallique dans ma bouche. J'inspire doucement pour calmer mon souffle et chasser ce souvenir aussi bon que mauvais.

" Et toi petit. Quelle quête te mène sur les routes ? Enfin. Te sens pas obligé d'en parler non plus. Loin de moi l'envie de te faire passer un interrogatoire. On peut aussi rester assis en silence à savourer du Phanlios si tu préfères. Si tu en reveux, n'hésites pas, sers-toi. "

Je sors l'un des paquets dans lequel je range la viande pour lui tendre. Je ne veux pas qu'il soit dérangé pendant qu'il touche mes plumes… Mais je dois me concentrer sur autre chose, sinon je ne vais pas réussir à garder ma contenance longtemps. J'essaie autant que possible de faire disparaître l'afflux de sang de mon visage, mes oreilles et mon cou, espérant sincèrement que le petit n'ait rien remarqué. Ou bien… Que s'il ait remarqué, il ne dise rien. C'est déjà assez gênant de découvrir qu'un corps peut avoir de nouvelles sensations en ayant… Des tas de plumes.

" Sinon, peut-être que ça te gonfle que je t'appelle petit, tu veux peut-être que ma bouche produise un autre son pour te désigner ? "

Voilà une façon bien étrange de lui demander son prénom. Et je fais comme si de rien était. Comme si c'était normal… Écoutez, je suis pas le meilleur pour sociabiliser. Je fais déjà de gros efforts. De toute manière, si ça se trouve, je le reverrai jamais le nain. Donc quelle importance. Autant essayer d'être un minimum social, même s'il pourrait être un agent envoyé par Sapheris pour me supprimer. En vain, vu que je vais me remettre à respirer dans un autre corps… Après, j'aimerais beaucoup profiter un peu de ce corps. Être un séraphin a quelque chose d'intriguant et grisant.

   
 

All I want is to feel a bit

   

Je pouffe de rire à sa dernière question en me servant dans le sac de bouffe. J’écarte Croutard en le tirant par la peau du cou et le dépose plus loin pour qu’il ne s’approche pas trop de la sacoche. La prochaine fois que je croise ce foutu marchand qui m’a refilé cette bestiole, je lui dirais deux trois mots à ce con. Soi-disant ce rat aurait des talents cachés, mon cul oui ! Il est bon qu’à se remplir le bide et me bousiller mon manteau. Tout en continuant minutieusement mon travail de démêlage de plumes, je lui réponds d’un ton plus ou moins désintéressé. C’est pas comme s’il se rappellera de moi de toute façon. Mais c’est quand même plus agréable de ne pas avoir à entendre ‘Petit’ ou ‘Nabot’ tout le temps.


“Seven, mais tu peux m’appeler Sev’ si ça te chante. Et toi, comment tu te fais appeler ?”  

J’omets sciemment de préciser que je suis un vagabond, arnaqueur et voleur en cavale. Même s’il a l’air de fuir, je ne sais pas quoi, ce n'est pas une bonne idée de partager ce genre de détails. Je suis pas assez inconscient pour ça. Et puis, je ne vois pas en quoi ça peut l’intéresser, que je cherche à trouver des fleurs de Muyaphs… S’il apprend que j’ai une plaie au niveau de l’épaule, il pourrait en tirer avantages pour me faire une entourloupe. Comme elle ne guérit pas d’elle-même, j’ai besoin de ces feuilles pour tenter de la faire cicatriser. Elle n’arrête pas de former une croute bizarre et ça commence à bien faire. J’arrive à ignorer la douleur la majeure partie du temps. J’ai l’habitude de souffrir, donc bon.


Je le sens tendu depuis que j’ai commencé à défricher ses plumes, qui au passage, sont bien plus douces que prévu. C’est limite fascinant s’il ne gigotait pas autant ! Bon sang, mais il va arrêter de frémir à chaque fois que je touche une nouvelle plume ? Je suis pas délicat, mais je fais gaffe quand même ! Je suis pas un bourrin… Quoique, je peux le devenir s’il continue comme ça. Je plaque un peu plus solidement son aile pour me faciliter la tâche et ne pas lui arracher une plume par mégarde. Ce serait con, non ? C’est qu’elles sont encombrantes et lourdes en plus ! J’y ai peut-être été un peu trop fort, car je me ramasse une autre aile brusquement dans la gueule et je tombe sur le cul. Je grimace de douleur en sentant ma plaie dans le dos craquer. Bordel, c’est pas le moment qu’elle se remette à pisser le sang.


“Aïe…”

Je redresse la tête vivement et le fixe en fronçant le nez tout en essayant de cacher le fait que j’ai un mal de chien. Je peux sentir, à son odeur, qu’il n’est pas à l’aise, mais j’arrive pas à comprendre pourquoi. Plus tôt, il avait l’air tellement sûr de lui, blasé au possible et au-dessus de tout. C’est un mystère ambulant !


“Tu peux pas contrôler tes fichues ailes ?”

Grognais-je en me relevant. J’époussette mon pantalon et m’apprête à ajouter le fin fond de ma pensée, mais en croisant son regard saphir, je ravale le flot d’injure qui était prêt à sortir de ma bouche. C’est moi, ou il est gêné ?


“Je t’ai fait mal ou quoi ?”

J’essaie de garder un ton neutre, mais je suis un peu décontenancé par son expression. Quelque chose me dit que ce n’est pas de la douleur qui empourpre son visage. Il me l’aurait bien fait comprendre, si j’étais trop brute avec ses ailes… Alors pourquoi il est si embarrassé par la situation ? Je fais que l’aider en alignant ses plumes désaxées.
J’ai un vertige et pose un genou à terre en grognant. Merde, je crois que j’ai une fièvre qui éclate… Non, c’est pas le moment pour paraître faible et minable. Il faut que je me relève avant qu’il ne remarque que quelque chose cloche chez moi.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Il me répond, déclinant son identité. Non pas que je m'attendais à ce qu'il ne me réponde pas, m'enfin... Seven donc. On évitera de l'appeler le nain, je suis sûr que ça lui déplait. Même si c'est très drôle de mon point de vue. J'ai beaucoup de mal à rester stoïque alors qu'il touche à mes ailes, je finis irrémédiablement par lui faire manger mes plumes. Décontenancé par les sensations nouvelles, je n'arrive même pas à contrôler ces trucs encombrants. La plainte sonore fait que je me retourne malgré mes joues encore marquées d'embarrassement. Je grimace quand il se plaint.

Il croit peut-être que ça me fait plaisir de lui faire bouffer ses ailes au nabot ? Grognant légèrement, je me lève à mon tour. Je ne me souviens pas dans mes vies avoir été une fois autant gêné ! Il est drôle lui. Il s'époussette et je détourne la tête à sa question, rabattant mes ailes dans mon dos.

" Non. Non, je n'arrive pas à contrôler ces fichues ailes. Et. Non. Tu ne m'as pas fait mal. "

J'allais le gratifier d'une réponse cinglante en retrouvant peu à peu contenance, mais alors que je le vois faire tomber un genou à terre, je fronce le nez. L'odeur est fluette pour mon nez, une odeur que je connais que trop bien. C'est pas une petite chute comme ça qui l'a ouvert quand même... Je me rapproche, mon regard vidé de toute émotion. Je me penche pour attraper son visage, brûlant. Je laisse échapper de l'air, légèrement sifflant. Les mauvais souvenirs m'enveloppent quelques instants. Je me fais violence pour ne pas reculer violemment comme si j'avais été brûlé. Il n'est pas un éternel. On n'est pas sur un...

" Champ de bataille. "

J'inspire lentement après avoir murmuré la fin de mes pensées. Je secoue la tête, relâchant son visage doucement. Je m'assois sur le sol le forçant à s'assoir aussi. L'odeur émane bien de lui. Il saigne. Où ? Je dois trouver.

" Ashton. Tu peux m'appeler Ash. "

Une tentative vaine de lui faire ignorer mes mains qui parcourent son kimono vivement pour le défaire et analyser un peu plus ce qui se passe là-dessous. Je grimace en m'exclamant entre mes dents.

" Putain Seven t'as merdé. C'est quoi ça ! Comment tu tiens même debout avec une plaie pareille. Merde... C'est vraiment moche. "

Je lui parle comme je parlais à Loup lorsqu'il ne soignait pas ses plaies et que je me retrouvais à les panser... À l'époque, on avait du Muyaph en grande quantité et surtout, très accessible. Dans une zone réfrigérée magiquement, on avait juste à les tremper dans l'eau. Je ne pense pas en avoir dans mon sac. Ai-je au moins quelque chose pour désinfecter ? Vu la gueule de la plaie... Il est en train de faire une infection, il a certainement ni onguent, ni désinfectant sur lui, et ce n'est pas le rat qui va l'aider.

Je tends la main, le tenant fermement pour qu'il ne tombe pas. Je n'en ai strictement rien à foutre si ça ne lui plait pas, j'attrape mon sac, refermant la bouffe. Je farfouille dedans... De l'alcool... Eh bien... On n'a pas mieux… Prenant un tissu dans mon sac, je le mets devant sa bouche.

" Mords ça, hurle, fais ce que tu veux, tu peux même me frapper, mais ne bouge pas, ok ? "

Si on m'avait dit que je soignerais quelqu'un d'autre que les éternels, je ne l'aurais pas cru, je ne suis pas médecin, je ne connais que les trucs de base. Cela devrait être suffisant. C'est dommage, je n'ai pas les plantes adéquates... Je n'ai pas non plus d'onguent dans mon sac.

Un T-shirt blanc propre sera un parfait créateur de bandes. Déchirant sans aucun remords le pauvre vêtement innocent, j'ouvre la bouteille avec les dents. Relevant légèrement mes genoux, appuyant sur ses côtes alors que je suis toujours assis dans son dos, je prends garde à y mettre suffisamment de force pour le bloquer, sans pour autant lui faire trop de mal. J'ai pas envie de lui péter les côtes non plus. Il a déjà assez à faire avec ce bordel, je vais pas lui rajouter des emmerdes.

J'inspire et renverse la bouteille, son contenu glissant bruyamment sur la plaie. J'applique avec précaution le tissu, les débris et les croûtes que le corps tente de former à l'arrache, la plaie ferait pâlir beaucoup de médecin. Précautionneusement, j'en retire le plus gros. Cela ne va certainement pas être sa meilleure expérience en termes de soins. Il faut dire que je ne lui ai pas demandé la permission en plus.

" Eh, me fais pas le coup de tourner de l'œil hein ? Concentre-toi sur ma présence. Ah et. " Pressant le tissu alors que je pose sèchement la bouteille d'alcool au sol pour qu'elle ne tombe pas, je farfouille dans mon sac et lui tends ma gourde en peau. " Bois un peu. Essaie de rester concentré, raconte-moi comment tu t'es fait ça. "

Le Lac Ephnil n'est pas si loin. Cependant, pour atteindre cette île, il y a un peu de marche et un bateau à prendre. Il faut qu'il tienne un minimum debout. Il faudrait que j'achète un onguent en chemin... Ah... Pourquoi je n'ai pas tout ça sur moi. Parce que je ne suis pas censé sauver des gens tous les jours peut-être ? Ouais, c'est une bonne justification. La route est déserte, d'un côté, ça m'arrange un peu. Même si je ne dis pas non à une monture pour emmener ce gars en ville et le soigner plus proprement. On fait avec les moyens du bord comme dit. Attrapant la bouteille, je me prépare à inonder une nouvelle fois la plaie, le prévenant pour éviter qu'il ne s'étrangle avec l'eau.

   
 

All I want is to feel a bit

   
J’ai du mal à enregistrer ce qu’il me raconte. Champs de bataille ? De quoi il parle… J’ai un sourire qui s’étire maladivement sur mon visage en entendant son nom. Je ne sais pas pourquoi cela suscite une vague euphorique. C’est probablement la fièvre qui me monte à la tête. Il faut absolument que je me reprenne. Ces mains… sont fraîches, ça fait un bien fou. Je suis tellement à l’ouest d’un coup, que je ne réalise pas tout de suite qu’il est en train de me retirer ma tunique. J’essaie vainement de me débattre, mais mes gestes ont perdu de leur vigueur et j’ai plus l’impression d’être un tas de guimauve qu’autre chose. Merde, comment j’en suis arrivé là déjà ? J’avais juste à tenir le coup jusqu’au lac…


Je l’entends farfouiller dans son sac… Croutard s’y est perdu ? Je n'en sais rien, je divague grave… Il est où ce stupide rat… Faut pas que je le perde, il est con, mais je l’aime bien quand même… Pourquoi je pense à ça maintenant ? Mon épaule… la plaie… Merde, il va voir que je suis un mage… Les cicatrices… Ash… J’entends vaguement qu’il déchire un pan de tissu. Ma tunique ? J’espère pas, elle m’a coûté cher, bordel… C’est du coton de haute qualité… Je sais même pas si j’ai encore mal, je respire, c’est déjà ça… La douleur est comme passée en sourdine. Il me fourre un morceau tissu dégueulasse dans la bouche et j’ai limite un haut le cœur tellement il est imbibé d’odeurs et goûts amers. Surement un de ces parfums bien puants qu’utilise ces anges pour se distinguer du pauvre peuple.


La brûlure fulgurante qui émane subitement de mon dos m’arrache un grognement étouffé par le tissu. Putain, il avait pas autre chose dans son sac que de l’alcool ? Je serre les poings si fort que je peux sentir mes ongles s’enfoncer dans ma chair. C’est presque apaisant, comparé à l’élancement de la plaie. Je parviens à ricaner en l’entendant me sermonner de ne pas tourner de l’œil. S’il savait… Tout ce que j’ai déjà dû endurer… Il rigolerait avec moi de ma connerie.

“T’avais pas mieux, que de l’alcool, hein ?”

Je le taquine, mais j’ai plus toute ma tête là tout de suite. Comment je me suis fait cette blessure ? Est-ce que j’arrive à m’en souvenir dans mon état ? L'euphorie me reprend et je pars d’un fou rire sans comprendre pourquoi.


“Comment je me suis fait ça… ha ha… C’est une bonne question… Comment t’as atterri ici… D’où tu viens Ash… ”

Je raconte n’importe quoi…


“Tu crois que c’est juste, de brûler des villages entiers…”

Non, c’est pas du tout ça que je voulais dire… Pourquoi je parle déjà ? Ah, oui… La plaie… C’est tellement stupide que je me remets à glousser en racontant.


“J’ai voulu m’échapper… ha, mais le vendeur de liqueur avait pas dit son dernier mot… le con avait placé des lamelles de rasoir dans sa clôture pour garder à l’écart les voyous… Je les avais bien évités à l’aller… le retour par contre… J’ai niqué mon manteau noir… je l’aimais bien… il avait pas la poche de Croutard…”

Ça y est, je crois que je ne peux plus m’arrêter de rire. Je revois la sale gueule d’alcoolo du vendeur me courir derrière. Au moins, elle était bonne la liqueur de Fritul… J’ai rarement pu me saouler la gueule en appréciant tant le breuvage. Oui, j’ai carrément une balafre sur l’épaule, pour une putain de bouteille… Je retire ce que j’ai pensé plus tôt, je suis carrément inconscient. Haha… Mes cheveux me collent au visage et je les écarte futilement d’un geste tremblant. Merde, je tremble. Je fixe ma main avec un intérêt nouveau. J’ai perdu un gant… ou je vois flou ? Est-ce que je les aie retirés sans m’en rendre compte en alignant ses plumes ? Haaa… ça explique pourquoi je les trouvais si douces… Elles sont juste devant moi, avec leurs couleurs vives. C’est hypnotisant. Je tends ma main tremblante pour les caresser du bout des doigts. Comment fait-il pour qu’elles soient si soyeuses… Je souris malgré moi, malgré les marques de brulures sur mes mains qui sont au grand jour. C’est bien, parfois. D’être dans un état second, pour juste pouvoir s’émerveiller du monde sans se rendre compte de quoi que ce soit.


   
 

All I want is to feel a bit

   
Je le sens se tendre, mais au moins, il ne bronche pas trop. Il se débat mollement, au point que ça en deviendrait presque inquiétant. J'aurais pas eu les mains pleines, je me serais pincé l'arrête du nez.

" Non. Désolé, je suis pas toubib petit. Je suis juste un type qui n'a rien à foutre sur ces terres. "

Enfin, ma présence va au moins lui permettre de pas se faire bouffer par un truc qui traîne. Je me fige à sa question. Je ricane nerveusement en lâchant avec un peu plus de sincérité que je ne l'aurais voulu. Je l'ai encore appelé petit, réflexe, le temps que je me fasse à prononcer son prénom. Il faut dire, à part des noms d'animaux, j'ai rarement appris des prénoms.

" Si je te le disais, soit tu me fuirais, soit tu ne me croirais pas. "

De toute façon, vu comme Seven divague, il ne se rappellera surement pas ça. Peut-être est-ce pour ça qu'en plus de ma concentration pour l'aider, je me permets ce relâchement.

Je suspends définitivement mes mains lorsqu'il parle de brûler des villages, posant ma main sur son épaule saine. Mon visage prend un ton plus grave, je ne sais pas pourquoi il parle de ça. Je ne sais pas ce que je dois dire qui puisse être réconfortant. Je me perds un instant dans mes pensées. Moi, qui n'a que l'expérience du champ de bataille, que pourrais-je lui dire ? La seule réponse sera ma main serrant doucement son épaule dénudée.

Sa voix s'élevant de nouveau me sort de ma torpeur et je me remets à désinfecter sa plaie en l'écoutant. Il a donc subi un retour de bâton pour avoir tenté un larcin ? Ou bien, il avait été capturé dans le but d'être revendu ? Les trafics d'êtres humains ne me surprendraient pas finalement. Je suis moi-même le fruit d'horribles expériences qui s'étaient éteintes et l'esprit dans sa grande bonté s'est dit qu'il pouvait faire des blagues. Je m'arrête en l'écoutant, tournant la tête vers le rat blanc. Il me regarde, je ne comprends pas les bestioles ainsi, je ne saurais pas dire ce qu'il veut. En tout cas, il me lâche pas du regard.

C'était Lièvre la médecin du groupe, elle râlait toujours quand je soignais Loup... C'était rudimentaire, même si elle disait que c'était mieux que rien, elle ne manquait pas de me sermonner comme quoi, je faisais le travail à moitié. Je fais donc de mon mieux pour me souvenir de ses conseils pour la fièvre. Du tilleul ? Ou du calendula ? Peut-être du sureau ? Ou du saule blanc ? Je dois bien avoir un de ces trucs dans mon sac. Je sais que ce sont des fébrifuges efficaces... Je dois avoir de quoi faire chauffer un peu d'eau aussi.

Je déchire un nouveau morceau du T-shirt et bande sommairement la plaie. Je fais de mon mieux pour que ça maintienne bien son épaule en place. Je fais en sorte de remonter sa tunique. Lièvre m'engueulait quand je me promenais torse nu parce que la fièvre me donnait trop chaud. Je crois qu'elle m'a déjà jeté des bandes roulées à la gueule pour ça. Le maintenir au chaud...

Les morceaux imbibés d'alcool, d'hémoglobine et autres déchets créés par le corps lorsqu'il combat une infection mis de côtés, je tends la main vers ma cape noire, c'est pas parfait, mais ça devrait suffire pour l'instant. Je l'étends sur le sol d'un mouvement souple, lâchant une petite exclamation de surprise en sentant ses doigts toucher mes ailes. Je ne me suis pas rendu compte que je les avais ramenées vers l'avant. Je déglutis bruyamment sans un mot, observant un instant les mains de Seven. Elles sont abîmées, et pas qu'un peu. Des brûlures, suis-je en train de sauver un pyromane ? Ou la victime de celui-ci ? Ma paranoïa me fait pencher pour la première option.


Je ne dis rien, le faisant habilement basculer dans mes bras pour le caler sur le long vêtement noir, calant sa tête avec la capuche roulée en boule. Je farfouille dans mon sac, un sachet fermé m'intrigue et je mets le nez dedans. Ah ! Cette odeur, c'est celle de la tisane que me faisait Lièvre quand j'avais de la fièvre. Je farfouille pour sortir de quoi faire chauffer de l'eau, si beaucoup de mages se promènent avec pierres magiques pour remplir cette fonction, j'ai toujours sur moi de quoi faire un feu, j'ai une petite affection pour le crépitement des flammes.

Une autre poche contient ce fameux nécessaire. C'est les premiers objets que j'aie cherchés sur le chemin en revenant à moi. Je pose le récipient en métal vieillit, il n'est pas rouillé, mais on peut voir qu'il a vécu. J'entrechoque méthodiquement les pierres à plusieurs reprises jusqu'à faire partir le feu. J'opte pour un morceau de tissus non souillé pour faire office de filtre. Je n'ai guère le choix, j'avais pas prévu d'avoir à filtrer une tisane. Il y a vraiment beaucoup de choses qu'il me faut.

" Je vois. Il faut faire retomber ta fièvre, je ne sais pas si quelque chose pour ça dans mon sac. Bois. Si tu veux autre chose, il doit me rester un peu de liqueur dans mon sac. On dira adieu à l'autre alcool qui me permet de désinfecter ta plaie. "

Je prends la gourde et en verse un peu avant de le remettre près de Seven.

" Ce monde est injuste d'une façon ou d'une autre. Où que l'on soit, personne n'est hors de danger. "

J'observe le feu crépiter sans un mot de plus. Laissant infuser les feuilles tilleul, lorsque sa fièvre sera retombée, nous pourrons aller au Lac Ephnil et le soigner un peu mieux. Nous prendre aussi une chambre en ville au besoin. En bref, on pourra mieux gérer la plaie qu'il s'est faite. J'ose espérer, vu qu'il parlait de brûler des villages, que le bruit du petit feu de camp ne le gênera pas. Je l'ai fait à une distance raisonnable pour qu'il ne risque pas de se brûler avec.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Je ne sais pas si c’est une bonne idée de boire de l’alcool maintenant, mais si c’est si gentiment proposé qui suis-je pour refuser ! J’arrête mon observation délirante de ses ailes et accepte la gourde avec une agilité des plus… élégante. Ouais, élégante… on va dire ça. Je crois que j’ai manqué en renverser sur moi au passage. Je rigole à nouveau en l’entendant dire que le monde est injuste.


“Injuste ? Ha, ha, bordel, c’est même pas assez pour décrire toutes les atrocités qui s’y passent sans que personne se bouge le cul !”

Ah… C’était pas assez de tout trouver rigolo, je sens la rage monter en moi tel un volcan qui explose et crache sa lave. Je tends la gourde comme s’il s’agissait d’un saint Graal.


“Un Panthorax, et puis quoi encore… Comme s’il y en avait dans ces contrées… Du grand n’importe quoi ! Parfois, j’aimerais que tout parte en lambeau, que tout s'arrête… Mais tu sais quoi ? Il n'y aura jamais de fin, à cette mascarade… ”

Je bois une longue gorgée brûlante et tousse en me redressant brusquement. Je m’attendais pas réellement à ce que ce soit si fort. Je grimace en essuyant mes lèvres d’un revers de main. Je sais pas pourquoi, mais ce Ash me semble plus sympa maintenant… Je sais toujours pas d’où il sort, mais il pouvait pas tomber un meilleur moment. Par contre, la tisane qu’il est en train de mijoter là, me fait froncer le nez. Je suis pas un bouffeur de plante… Surtout depuis que la Panthère m’habite… Je me bouche le nez du bout des doigts et pointe le liquide néfaste de mon autre main.


“Je sais pas ce que tu comptes me faire avaler, mais hors de question que j’y touche… Tu peux toujours rêver…”

Ouais, je sais, je suis un gamin ! Du reste, il n'avait qu’à pas m’appeler Petit tout le temps ! Maintenant que le plus gros de la douleur s’est anesthésié à coup d’alcool, j’ai repris un peu du poil de la bête. Enfin, c’est ce que je m’efforce de faire croire. J’ai connu pire, c’est pas une plaie du genre qui va me clouer au sol. D’abord, il me faut mes gants, j’aime pas dévoiler mes mains comme ça. Je lance un regard vers Croutard et lui lance.


“Rends-toi utile, tu veux ?”

Je fléchis la main significativement et je peux voir son sourire de rat s’étirer sur sa tronche. En gros, il se fout bien de ma gueule le petit con et je suis à présent convaincu que c’est lui qui m’a fauché mes gants.


“Si tu crois que tu vas t’en sortir comme ça petit merdeux !”

J’ai tout oublié de ma plaie et m’élance sur la boule de poile blanche qui me fait office de familier.


“Je te jure que si je t’attrape, je te tords le cou !”

Il est plus petit que moi, et bien plus rapide avec ses petites pattes. Pour couronner le tout, il a l’audace de partir se planquer dans au beau milieu des ailes d’Ash. Je trébuche en essayant d’éviter de m’étaler au beau milieu des plumes. Joli dérapage, pas contrôler du tout pour quand même finir où je ne voulais pas. Merde, il va me trucider… Je me redresse tant bien que mal, en tapotant gentiment le bout d’aile qui m’a servi de cousin d’atterrissage. Je lisse les quelques plumes que j’ai froissées et lui offre un sourire désolé, des plus sincères. Je replace mon haut de tunique pour avoir l’air un peu plus décent et retient une grimace lorsque le tissu frôle ma blessure. J’avais presque oublié qu’elle était là… Je me tourne vers Croutard en lui lançant un regard noir et mime de lui trancher la gorge s’il ne me rend pas très vite mes gants. Je me laisse tomber en tailleur et rebois une gorgée de la gourde que j’ai toujours en main. Cette fois encore, ça me fait tousser comme un fumeur en fin de vie. Merde, c’est bon et pas bon à la fois !
   
 

All I want is to feel a bit

   
La seconde gourde remplie d'alcool dans les mains, je le regarde faire en arquant le sourcil. Trop vite, il boit trop vite. Alors qu'il se met à tousser, un sourire narquois se placarde sur mon visage. Je l'écoute distraitement, un peu ailleurs, bercé par le son du feu et de l'eau qui bout. C'est pas de l'alcool de fillette que je trimballe dans mon sac. Son commentaire sur la tisane me fait changer d'attitude et je lui lance froidement.

" Je suis pas ta baby-sitter. Alors soit tu arrives à me prouver que ta fièvre a baissé, soit tu prends au moins une gorgée de ça. Je sais, c'est dégueulasse, mais c'est ça avec les trucs qui soignent. C'est un fébrifuge, ça fera baisser ta température. Je te dis pas de défoncer toute la tisane, juste d'en boire un peu. "

Ma voix part dans les graves, pas que je veux pas, mais je doute qu'il ait envie d'être en ma compagnie bien longtemps. Qui désirerait passer du temps avec quelqu'un qui réagit de façon aussi chaotique que moi de toute façon ? Je me demande si Loup me supportait, car il était un éternel lui aussi. Je grogne légèrement en sortant du Phanlios séché que je viens déchirer vigoureusement à l'aide de mes dents. Il se met alors à parler avec son rat… Parler... Avec son rat... Et après, c'est moi le taré. Ma paranoïa me semble bien normale à côté de ça. J'attise le feu en ignorant la suite des évènements, il peut bien parler avec sa bestiole si ça lui chante. Il délire tellement que plus rien ne m'étonne.

Ceci dit, alors que je sens les petites pattes du rat se servir de mes ailes comme mur d'escalade je me retourne légèrement pour apercevoir Seven bondir sur l'aile sur laquelle le rat était perché juste avant. Arrachant une plainte d'inconfort je lui jette un regard furieux. Pour quelqu'un qui avait un genou à terre auparavant, il se remet vite.

Un soupir m'échappe alors que je retire mon aile de ses mains la repliant avec les autres dans mon dos. Je retire la tisane du feu et laisse les fleurs de tilleul infuser deux minutes de plus. Retirant ensuite celles-ci, je fronce le nez, j'ai pas de miel pour adoucir le goût... Erf. De toute façon, il ne sera jamais assez conciliant pour en boire. Je prends la flasque en verre précédemment remplie d'alcool. Celle-ci est en forme de chat, au fond, Saphiel aimait les choses mignonnes, il semblerait. Je la rince brièvement avec de l'eau puis y verse le contenu du récipient encore chaud. Je glisse le fébrifuge dans mon sac.

" Tu as l'air assez en forme pour marcher, du coup, on va se diriger vers le village et prendre le premier navire pour Ephnil. Là-bas j'aurais sûrement quelques trucs que je pourrais reconnaître pour te soigner, peut-être qu'un pêcheur aura un onguent à nous vendre. "

Je rassemble les pierres dans mon sac et étouffe le petit feu. Je me lève mollement, époussetant la cape noire qui a servi quelques instants comme lit de fortune au nabot. Laisser le choix à Seven ? Non. C'est loin d'être négociable. J'ai promis à Lièvre la dernière fois, si je dois soigner quelqu'un je ferais pas les choses à moitié.

" Tu es capable d'utiliser tes petites jambes Seven, ou il faut que je te porte comme une demoiselle en détresse ? "

Une pique, surement nourrie par une faible rancœur à son égard. Je me fais pas chier pour les gens habituellement. Maintenant que j'ai commencé, la promesse envers Lièvre m'engage à continuer. Pourquoi ai-je commencé ? Parce qu'il a défroissé en partie mes ailes ? J'imagine, je voulais lui rendre service à ma manière. Puis, ce serait mentir que de dire que je suis incapable de laisser quelqu'un crever sur le sol. Nous ne sommes pas tous remplaçables et oubliables comme je le suis. Il peut bien attenter à ma vie. Il ne sera pas le premier ni le dernier qui morde la main qu'on lui tend. Glissant mon sac sur mon dos, je viens voiler ma silhouette à l'aide de ma cape noir, faisant tomber celle-ci sur mes ailes.

Je cherche autour de moi avec un petit brin de panique. Ah ! Elle est là. Ma précieuse guitare. Je la ramasse et prends soin de retirer tout ce qui pourrait être entré dedans ou tombé. Glissant celle-ci à mon épaule avec mon sac, je jette un coup d'œil à Seven.

" Tu viens ou je te traîne à Ephnil de force ? "
   
 

All I want is to feel a bit

   
Okay, je crois que je l’ai un peu vexé. J’aurais ta peau Croutard… J’aurais ta peau. Mais je me sens vraiment mieux. Je sais pas ce qu’il y a dans cette boisson alcoolisée, mais c’est de la bonne camme. Dommage que ma gourde soit déjà vide. Je la lève en regardant le fond d’un air dépité. Ouais, elle est bien vide. J’ose pas pour autant lui demander s’il en a encore et je me contente de l’observer remplir la sienne avec cette concoction pas du tout à mon goût. Je me doute qu’il veuille bien faire… Mais c’est au-dessus de mes forces que de boire un truc pareil. Je hausse les épaules et lui rends la gourde que je viens de remplir d’eau fraîche.


“Merci… pour le coup de main… ”

Je marmonne et détourne le regard le temps qu’il reprenne sa gourde. Je remarque au passage sa guitare et cela m’intrigue pas mal. Vu son humeur soudain sombre, je me garde de lui demander quoi que ce soit à ce sujet-là. Il semble que nous allons faire un bout de route ensemble, alors autant réserver ma curiosité pour plus tard. Je m’étire prudemment et teste mes muscles pour déduire leur état. C’est pas trop naze, je devrais pouvoir marcher un bon bout de chemin tant que la fièvre ne revienne pas me donner un coup de massue. Je recommence à sourire, cette fois-ci aucun doute, c’est l’alcool qui parle.


“Une princesse en détresse, si tu y tiens ! Ephnil, c’est exactement où je comptais me rendre, ça tombe bien ! Mais je décline ton offre, je sais marcher comme un grand ! Et puis, avec le poids de tes ailes, je crois que t’as assez de fardeau à porter… ”

Je fais mouliner mes épaules comme pour prouver que je vais très bien. Mauvaise idée, je dois encore retenir un grognement douloureux. Bordel, j’ai vraiment pas dû me louper… J’espère qu’il a pas remarqué, il va finir par me trouver insupportable. Enfin, c’est probablement déjà le cas, vu sa tronche glaciale. Je jette un regard circulaire en quête de Croutard, et le vois courir vers Ash et lui grimper sur l’épaule. Sale traitre !


Ça me rappelle que je n’ai toujours pas mis la main sur mes gants. Je fouille au fond de sa poche-pas-poche et sort triomphalement mes gants ! Je m’en doutais bien qu’il me les avait chapardés !


“Je le savais !”

M’exclamais-je en le pointant d’un doigt accusateur. Le rat me tire carrément la langue et j’en fais de même, juste au moment où Ash se retourne vers moi avec un air dépité. Oops…


“Euhm…”

C’est tout ce que j’arrive à dire, là, tout de suite…
   
 

All I want is to feel a bit

   

Le nabot tire une énergie insoupçonnée d'une gourde d'alcool. Je n'aurais jamais pensé qu'elle serait aussi utile. Surtout pas comme ça. Il me tend la gourde remplie de nouveau, de l'eau, je suppose. Il murmure un merci. Oh woah. Je n'espérais même plus être remercié de lui filer un coup de main. Après tout, avec son tempérament de sale gosse qui en fait qu'à sa tête, je n'attendais pas grand-chose. Je devrais peut-être lui dire qu'il n'a pas la tête de l'emploi de princesse, à moins que ça soit mieux que je ne brise pas ses rêves, j'imagine ?

" Parfait. De toute façon, tu n'as pas trop le choix. Aussi, pour t'avoir soulevé, tu es relativement léger, donc t'inquiètes de pas de ça. Sois juste franc avant de t'écrouler comme une merde. "

Après ça on se reverra certainement plus jamais, alors pourquoi se prendre la tête à faire sa mijaurée. Je préfère qu'il me dise directement les choses plutôt que de perdre du temps en fierté mal placée et en manière que je suis loin d'avoir. Mes affaires à l'épaule, je glisse mon autre main dans ma poche.

Son exclamation m'arrête alors que j'allais me mettre en marche. Je tourne la tête pour le voir me tirer cordialement la langue. Pourquoi son rat est sur mon épaule aussi ? Ah... Si seulement Lièvre était encore là ! Je l'aurais suppliée de s'occuper du nabot et de son rongeur. Je fais rouler mes yeux et lui intime d'un signe de se bouger le cul. Heureusement pour nous, nous ne sommes pas bien loin de la côte, il suffit de couper par le petit bois, et on déboule sur l'autre côté du virage qui nous aurait fait perdre des heures. Ce petit village aux pieds dans l'eau comporte un port où des pêcheurs offrent volontiers leurs services pour la traversée alors qu'ils se rendent près de l'île au lac transparent pour pêcher.

J'attrape le nabot par le col. En sifflant entre mes dents.

" Reste près de moi, t'éloigne pas. "

On pourrait croire que je me prends d'affection pour ce gamin et que je veux le protéger. Moi ? M'intéresser à une autre vie que la mienne ? Jamais. Je n'ai pas le droit de m'attacher à qui que ce soit. Je ne fais que répondre à une promesse que j'ai un jour eu la bêtise de faire. Il serait con qu'il lui arrive des bricoles avant qu'on arrive à Ephnil. Je me rapproche du ponton où un pêcheur semble paré à partir. Un coup de chance ! Je lui fais un signe en criant. Il se retourne et s'arrête, descendant de son bateau.

" On peut embarquer ?
- 10 Kraken d'or par personne.
- Wow. Tu es trop cher l'ami. Je te donne 10 Krakens pour nous deux.
- 18.
- 12.
- 16.
- 14.
- Joue de la guitare et vous pourrez monter. "

Il avait pointé mon instrument en prononçant la dernière phrase. J'acquiesce avec un demi-sourire. Au moins, ma négociation audacieuse est récompensée. Je monte dans le bateau, et je tends la main à Seven pour l'aider à monter, il serait con que je doive le dessaper devant ce vieux type pour remettre des bandes maintenant. Une fois que nous sommes tous deux sur le bateau, je me laisse souffler.

Je pose mon sac et entreprends d'accorder ma guitare. Faisant vibrer les cordes, je fredonne timidement une de mes balades alors que le pêcheur, enjoué, ricane.

" Joue plus fort, gamin ! "

Je jette un regard en biais à Seven. Puis finalement, j'entonne les paroles plus clairement, jouant comme si ma vie en dépendait. Une envie de l'impressionner ? Peut-être. J'essaie aussi de faire plaisir au vieux qui semble, lui, apprécier la chanson puisqu'il entonne la musique avec entrain.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Je grince des dents lorsqu’il m’agrippe le revers de mon col, je suis pas un gosse, même si je sais que j’y ressemble beaucoup ! Et puis il n’y va pas de main morte, je crois qu’il vient de me déplacer le pansement de mon épaule. Merde s’il l’apprend, il va probablement râler et me dire que je suis pas foutu de rester en place… Ouais, bon c’est pas tout à fait faux non plus, j’ai un peu tendance à faire n’importe quoi juste parce que l’envie m’en prend. Mais il aurait pu faire un peu plus attention quand même… Bref… Je m’installe bon gré mal gré dans cette péniche un peu bancale et le regarde sortir sa guitare avec fascination. La mélodie qu’il entame à l’art de me faire oublier ma douleur. Je ne connais pas le morceau qu’il est en train de chanter, mais je le trouve… bouleversant d’une certaine manière. Le vieux marin, par contre, se dandine tout en menant la barre. Sa graisse déborde de tous les côtés et son bide suit le rythme qu’Ash bat du pied. Je crois que je n’arriverai jamais à me sortir cette image du crâne… Je regrette de lui avoir jeté un œil. Je reporte mon attention sur Ash et sa voix envoutante.


Le soir commence à tomber lorsque Ash termine de chanter. Le vieux semble satisfait, car il boit silencieusement à sa gourde et fixe l’horizon perdu dans ses pensées. Ash pose précautionneusement son instrument et détourne le regard de moi, comme s’il voulait me cacher son visage légèrement empourpré. Il fait sombre, la majeure partie des gens ne l’auraient même pas remarqué. Mais j’ai hérité de quelques dons pratiques de la Panthère. Mes yeux sont parfaitement adaptés à la vision nocturne. Seul bémol, il parait qu’ils ont un reflet étrange lorsque la lumière les touche. Comme les chats qu’on croiserait une nuit sous le clair de lune. C’est pour ça que je porte souvent ma capuche pour les cacher. Je crois que ça lui a plu, de me montrer son talent, même s’il en rougit. Cela me fait sourire, son habilité à la guitare contraste bien fort avec ses capacités de vol.


“C’était vraiment cool.”

Il détourne encore plus le visage en marmonnant quelque chose d’inintelligible. Ça me donnerait presque envie de le taquiner, de lui dire que je me suis planté et qu’il a plus l’air d’un rossignol que d’un pigeon.


Un silence confortable s’installe et au bout d’un moment, Ash commence à dodeliner de la tête. Je regarde autour de moi, mais comme je ne trouve pas vraiment ce que je cherche, je décide finalement de rouler en boule mon manteau pour lui glisser sous la tête. Croutard, lui, s’installe confortablement sur ses genoux. Cela m’arrache un ricanement sourd et je lui caresse doucement le dessus de la tête. Sale bestiole…


J’ai souvent du mal à dormir, les images de mon passé resurgissent chaque fois que je ferme les yeux. Je préfère donc de loin observer Ash en train de somnoler. Il a encore pas mal de plumes en désordre et je me glisse juste à côté de lui pour les démêler minutieusement, sans le déranger dans son sommeil. Quand j’ai terminé, je finis malgré moi par succomber à la fatigue. Je m’endors contre son épaule avec un sourire satisfait sur les lèvres. J’ai mal, j’ai froid, j’ai chaud, mais je me sens plutôt bien.


Mes démons ne se font pas prier pour autant et m’assaille dès que je sombre. Les flammes qui me lèchent les mains, les cris de mes frères et sœur orphelins… Le vieux Onyx qui tente désespérément de nous sortir de la paroisse avant que tout ne s’écroule. Je crie pour les inciter à se dépêcher, à courir plus vite, mais rien n’y fait. Les pierres tombent les unes après les autres et ensevelissent tout sur leur passage. Tous… Ils sont tous morts… Je m’écroule à genoux, face au massacre autour de moi. Les maisons, les champs, tout est en feu. Les corps sont dispersés, ensanglantés, inanimés. Il n’y a plus rien… J’essaie de me relever, mais mes jambes ne me portent plus. J’ai tellement mal… Mes mains… Mon corps entier hurle de douleur.
   
 

All I want is to feel a bit

   

Je me laisse porter par ma propre musique, jouant et chantant jusqu'aux dernières lueurs du crépuscule. Visiblement, c'était suffisant pour le vieux pêcheur bedonnant qui satisfait boit sa gnôle en conduisant sa fière embarcation... Bon ok, c'est pas paquebot, mais ça fait l'affaire. Un peu embarrassé, je ne croise pas le regard de Seven, si ça se trouve je lui ai cassé les oreilles pendant tout ce temps et il me déteste encore plus. Son commentaire, bien que positif, me donne tout de même envie de disparaître, ainsi, je fais mine de trouver soudainement le paysage fort intéressant... C'est vrai ça, regardez ce ciel ! Il est si beau ! Si... Si... Intéressant... Ok, je suis pas crédible, mais peu importe.

À force de me concentrer sur le remous des vagues, mon corps sombre dans une semi-torpeur. Je sens faiblement les mains du nabot sur mes ailes. Il est encore en train de les démêler... C'est une obsession ou quoi ? Je laisse échapper un soupir en laissant mon esprit glisser dans les abîmes ténébreux du sommeil. Grossière erreur, j'en fais beaucoup en ce moment, tiens.

La première chose qui me frappe, c'est le froid, glacial, mordant. Je fronce le nez, cette odeur nauséabonde. Je la reconnaîtrai entre mille. Du sang, frais, en grande quantité. En papillonnant des paupières, je reconnais douloureusement le visage devant mon regard. Je tends la main, je ne suis pas effrayé par son expression de rage et l'hémoglobine qui teinte ironiquement ses lèvres et sa peau. Les larmes sanguinolentes se fraient un macabre chemin sur ses traits, accentuant l'horreur de la scène. Horreur que j'accepte. Horreur qui ne suscite aucun effroi, et ce, dans aucune parcelle de mon corps.

Je devrais hurler, paniquer, pourtant, seules mes larmes en écho aux lignes pourpres sur le visage déformé que je tiens entre mes mains perturbent mon expression.

" L... Loup... "

Mon cœur se serre et j'éclate en sanglots alors que son visage fond entre mes mains. Ne pars pas. Ne m'abandonne pas. Me laisse pas tout seul moi aussi. Je ne peux l'accepter. Pas une fois de plus. La panique explose finalement alors que mon souffle saccadé constate que tout n'est plus que ce foutu liquide. Alors c'est comme ça que je disparais ? En me noyant dans cette poisse qui habituellement est vitale ? Quelle douce ironie.

Je me réveille en sursaut dans un cri silencieux. Je regarde autour de moi en panique. Ma respiration inégale me fait savoir à quel point ma cage thoracique est lourde. J'inspire bruyamment, essayant de retrouver contenance. Une exclamation de surprise m'échappe alors que je reconnais la silhouette du vieillard. Me pinçant dans un même temps l'arrêter du nez, il m'a fait peur ce con.

Il me montre la rive me faisant signe de me barrer fissa, il a l'air bien torché, je vais pas le contredire. Il est bien moins aimable à mesure que sa flasque descend visiblement. J'observe Seven et le soulève, prenant mon sac et ma guitare dans l'autre main, je bondis du bateau comme si le nabot était plus léger qu'une plume. Je m'enfonce dans le sable et je marche jusqu'au premier arbre. Son rat est à son aise sur mon épaule, tranquille, il a cru que j'étais son perchoir ou bien ?

Je pose doucement Seven contre l'arbre. Je reçois un vêtement dans la gueule suivit d'un " Oubli rien sur mon navire pti con " bien senti. Je récupère le manteau de mon comparse improvisé, manteau qui lui a servi de projectile, au vieux. Je devrais peut-être réveiller le gamin. Pourtant, perdu dans mes propres démons, je me contente de m'assoir dans le sable et de sortir le carnet le plus récent pour y écrire, dessiner l'animal de compagnie devant moi, puis Seven. Je ne dis rien, je ne fais que m'aider moi-même, me permettre d'oublier ces horribles images que mon cerveau malade a eu l'idée de glisser dans ma tête dès que j'ai clos les paupières.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Du sable… Pourquoi il y a du sable autour de moi ? Mes yeux s’ouvrent subitement avec effroi et je bondis sur mes pieds. J’ai le souffle court et le cœur au bout des lèvres. Des flashs d’images sanguinolentes défilent dans mon esprit embrumé et je sors d’instinct ma dague de son fourreau. Elle n’est pas des plus belles, mais elle m’a bien servie jusqu’à présent. Je la brandis devant moi le temps de reprendre mes repères. Je ne reconnais pas mon environnement. Lorsque je remarque Ash en train de me regarder avec stupéfaction, je baisse mon arme sans pour autant la ranger. Pas avant d’avoir observé les alentours. On est sur une plage et ma cape est accrochée sur la branche d’un arbre juste derrière moi. Ma main tremble encore un peu lorsque je renfourre ma lame. Je peux sentir la sueur couler le long de mon dos et j’en grimace. La fièvre a dû remonter pendant la nuit, fais chier. Mes cheveux sont poisseux et du sable s’y est collé. Je pue comme un clodo qui n’a pas vu de savon de toute sa misérable vie. Dégoûtant…


L’eau du lac est tellement claire… ça donne carrément envie de s’y baigner. Je jette un œil hésitant à Ash avant de hausser les épaules. De toute façon, il l’aurait appris tôt ou tard que je suis un mage. S’il ne le sait pas déjà… Bref, l’eau m’appelle et j’ai besoin de me décrasser. J’accroche mes gardes jambes et ma ceinture avec mon manteau et pose le reste de mes vêtements sur un tas de feuilles pour éviter que du sable s’y infiltre. Oui, je sais, je devrais avoir un peu plus de pudeur, mais on est entre mecs et j’ai vraiment besoin de me rafraîchir. Je tâte l’eau du bout du pied avant de me glisser dans l’eau fraîche. Je grelotte un peu au début, mais bordel que ça fait un bien fou ! Je me frictionne vigoureusement pour me débarrasser de la sueur et de l'odeur infecte qui me collait à la peau. Je regarde furtivement mon épaule et constate que le bandage a en effet cavalé partiellement la veille. Mais comme il a l’air de s’être encrouté dans la plaie, j’ose pas trop y toucher pour être honnête. Alors, je fais comme s’il n’existait pas et plonge le visage sous l’eau pour pouvoir enfin laver mes cheveux.


Je ressors de l’eau, complètement revigoré. J’attrape ma sacoche et en sort un morceau de tissu pour m’essuyer vite fait bien fait. J’enfile mon pantalon et me laisse tomber en tailleur. Mon torse et mes cheveux sècheront bien d’eux même. C’est alors que je remarque qu’il tient un carnet en main. Ma curiosité est piquée et je lui demande :


“Tu gardes un journal ? Les chansons, hier soir. C’est toi qui les as écrites ?”

Je ne sais pas s’il veut que je m’y intéresse. Toutefois, depuis que je l’ai rencontré, j’ai eu l’occasion de voir bien des expressions différentes sur son visage. Comparé à son air blasé du début, j’ai l’impression qu’il se sent quand même plus à l’aise maintenant. Je me demande ce qu’il a vécu, pour être si renfermé sur lui.


Croutard monte sur mes genoux et vient frotter ses moustaches contre mon ventre. Je souris en posant ma main sur son dos pour le grattouiller silencieusement. Mine de rien, il est quand même un peu attaché à moi, même s’il semble avoir un faible pour Ash.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Je suis absorbé par mon activité et c'est peu dire. C'est le bruissement paniqué de Seven qui me fait relever la tête.

" Ah.. Tu es... Ré...Veil... lé.. "

Je ne m'attendais certainement pas à ce qu'il braque une arme sur moi. J'arque un sourcil nullement effrayé et hausse les épaules, continuant à gribouiller quelques informations dans mon carnet. Le bruissement de ses vêtements me fait de nouveau relever la tête. Qu'est-ce qu'il fait. Ok... ? J'ose espérer qu'il est pas pudique parce que je ne vais pas me gêner pour laisser courir mon regard curieux sur lui. Si ça lui déplait.. Il n'avait qu'à pas se dessaper comme si j'existais pas. J'ai vu tellement de corps nus, hommes comme femmes de toute façon.

Je ne fais aucun commentaires même si j'ai remarqué des choses que n'importe qui aurait mentionné. Ceci dit, avec le temps qui a passé, j'ai appris à contenir ma propre curiosité. Aussi, quand il plonge la tête sous l'eau, je cesse ma balade visuelle. Je termine de raconter à ce foutu carnet ce qu'il s'est passé depuis la dernière fois que je l'ai ouvert.

Le nabot est sorti dans l'eau entre temps, alors qu'il me pose une question, je ferme ledit carnet et le glisse dans ma poche intérieure.

" Un carnet, ouais.... Ouais, j'en tiens un et en quelque sorte oui. "

Si j'en ai un, j'en ai beaucoup d'autres entassées dans un endroit que seul moi connais. Je ne suis pas non plus le seul auteur des chansons que j'ai entonnées. J'en ai écrit avec chaque membre des éternels. Les nouvelles par contre... Sont de mon fait. Il ne m'est malheureusement pas possible de lui dire tout ça... Je me gratte l'arrière de la tête en cherchant un moyen de ne pas lui paraître indifférent. Je me lève, posant mes vêtements au sol pour moi-même me glisser dans l'eau, j'ai pas eu l'occasion de me baigner dans une eau aussi claire depuis longtemps.

Ce n'est pas la meilleure des façons, je suis toujours aussi doué en conversations humaines. Je peux déjà entendre Loup se moquer de moi et me gratifier d'une tape sur l'épaule. L'eau fraîche mord agréablement ma peau et je m'étire. Je tourne la tête vers Seven. Ma voix s'élevant de nouveau, pour m'expliquer.

" Tu sais, Seven. Il y a des choses bien plus étranges que l'on ne le pense dans le monde, des anomalies que l'on veut jeter sous le tapis. "

Je rends certainement les choses moins claires, je ne suis pas motivé à l'idée de sortir du Lac, aussi, j'observe autour de moi pour repérer la plante dont on a besoin. On devrait en trouver facilement. Après tout, c'est ici que ça pousse. Le pansement de fortune doit lui faire un mal de chien de ce que j'en ai vu.

" T'occupes-tu de retirer la bande de tissu sur ta plaie toi-même, ou tu veux que je le fasse ? "

Oui, je suis toujours nu dans l'eau en lui disant ça, j'ai l'air vachement motivé à sortir. Je gardais un œil sur mon tas de vêtements sans un mot de plus. Reportant finalement mon regard sur Seven alors que je m'appuie contre le rebord.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Pas très bavard ? Je souris en coin. Ça me va ! Mine de rien, j’arrive à glaner quelques informations sur mon partenaire de voyage et cela me convient très bien. Je ne suis pas du genre à beaucoup parler de moi non plus. Parfois, les silences parlent bien plus que des discours. Son comportement en dit plus long qu’il ne pense. Il paraît indifférent au premier abord, mais tout est dans le détail de ses expressions, ses gestes et ses regards. Il est intriguant comme personnage. Lorsqu’il se déshabille et se glisse dans l’eau sans plus de cérémonie que moi, j’ai du mal à décrocher mon regard de lui. J’ai jamais eu l’occasion de voir un ange ou un Séraphin sans leurs tuniques élaborées. Comment leurs ailes prennent naissance dans leurs dos. Il se tourne vers moi et me sort un truc qui me fait buguer. De quelles anomalies parle-t-il ? Mon village était une anomalie, peut-être ? Je secoue la tête. Il ne peut pas être au courant de ce qui s’y est déroulé. Mais du coup, je commence à me demander ce qu’il sait réellement, sur la façon dont notre monde fonctionne. Je ne suis qu’un gosse orphelin, qui a dû apprendre à se débrouiller à la dure, sans réelle éducation. Je suis pas stupide, mais je n’ai pas eu le loisir de me plonger dans les grands récits de notre histoire. Sa seconde question me sort de mes réflexions et je fronce le nez rien qu’à l’idée de retirer ce putain de bandage. Ouais, nan, j’ai pas envie du tout. Il est très bien comme ça, il tombera tout seul comme un grand avec la croûte et tout le bordel. Si je le retire maintenant, je vais tout arracher… Et ça ne m'enchante pas trop. Mais d’un autre côté, si je ne le fais pas, il risque de le faire pour moi. Je ne sais pas ce qui est le mieux du coup. Bordel, pourquoi j’ai eu cette idée fantastique d’aller voler de la liqueur…


Je prends une longue inspiration, jette un œil dépité sur mon épaule, ça va me faire douiller grave. Bon, tant pis. On y va… Ou pas… Ou si… Merde, je suis pas une poule mouillée ! Je serre les dents et arrache d’un coup sec le bandage. Sa mère la **** ! Je maudis intérieurement toute la splendeur de ma bêtise. Je grogne un long soupir en observant le linge à moitié encroûté et ensanglanté que je viens d’arracher. Ouais, il est pas beau… Je veux même pas voir l’état de mon dos. Je me relève en titubant un peu, enlève à nouveau mon pantalon pour retourner à l’eau. C’est plus simple pour rincer la plaie. L’eau se teint de rouge quand je m’y plonge et je pousse un sifflement. Le froid est ironiquement brûlant. J’ai l’impression qu’une multitude d’aiguilles s’y plongent sans merci. Mais au bout de quelques longues secondes interminables, la douleur commence enfin à s’apaiser. Je peux enfin respirer.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Aux actions de Seven, ma réponse ? Un grognement de désapprobation sonore. Je soupire et me pince l'arrête du nez. Je m'éloigne déjà du bord en me dirigeant vers la plante que j'ai pu apercevoir plus tôt. J'arrache sans aucune forme de cérémonie les larges pétales. Je me déplace habilement vers Seven, mes ailes détrempées sont lourdes comme tout, j'avais oublié ce détail.

Un grognement de frustration vient siffler entre mes dents. Pour l'élégance attribuée aux séraphins et aux anges en général. On repassera. Mes ailes frappent la surface bruyamment alors que je m'en sers aussi gauchement que dans les airs pour me déplacer. Une fois dans le dos de Seven, je l'attire vers le rebord. Déposant les précieux cataplasmes naturels sur le rivage.

" Je te préviens, je vais certainement pas être doux. Je vais essayer que ça dure le moins de temps possible alors fait ton possible pour ne pas bouger. "

Je n'ai malheureusement pas d'onguent à mettre pour le moment, cependant on ne peut pas laisser le tissu fusionner avec la plaie et faire une engeance immonde qui mettrait des mois à cicatriser. Je ne pense pas avoir les compétences suffisantes pour que la plaie ne laisse aucune marque en cicatrisant, mais je sais déjà que je vais devoir le charcuter un peu pour nettoyer la plaie. Commençant d'abord par l'eau, je peux retirer une partie des tissus infectés, je n'aurais peut-être pas à charcuter finalement ? Il semble que l'alcool ait fait une partie du travail finalement.

Un soupir de soulagement m'échappe malgré moi. Je sais bien que je ne suis pas aussi habile que Lièvre pour ça. J'entreprends de nettoyer de façon plus appuyée, pour le distraire, je prends une voix descendant plus dans les graves, posées, un peu comme celle de Lièvre qui me racontait quelque chose lorsqu'elle me prodiguait des soins douloureux.


" Une vieille connaissance nous soignait. Elle devait souvent passer après moi. C'était une super médecin. Quelqu'un de tendre et appliqué. Lorsqu'elle savait que la douleur serait infâme, elle faisait en sorte de nous distraire. Loup râlait fréquemment après moi en reprenant ses mots. Je faisais toujours le travail à moitié... Du coup... Je lui ai promis, à cette vieille connaissance, que si je devais de nouveau soigner quelqu'un, je ne ferais pas les choses à moitié. Je n'ai pas tout ce qu'il faut à disposition, mais je pense que grâce à l'alcool et au nettoyage minutieux de ta plaie, en changeant régulièrement le cataplasme de Muyaph ça devrait cicatriser et être presque invisible. Je suis désolé, je suis pas médecin, je pourrais pas te faire de sutures ou quoi, normalement au vu de la profondeur j'imagine qu'il t'en faudrait... Mais même si je suis là depuis longtemps, je n'ai pas ce savoir. En tout cas, félicitations Seven, tu t'es pas loupé. "

J'en ai dit bien plus que je ne le souhaitais. Je prends le pétale de Muyaph une fois que la plaie me semble bien nettoyée, je l'humidifie avant de rincer la coupure. Une fois que tout est prêt, j'applique en silence le cataplasme naturel. Le collant minutieusement à la peau.

" Tu le fais sécher, et ensuite tu pourras bouger comme tu veux. "

Je me hisse sur le bord, agitant mes ailes trempées en soupirant, génial. Cela va surement mettre des heures à sécher. De toute façon, la pudeur, c'est pas un truc qui existe vraiment chez les éternels, notre corps nous appartient sans nous appartenir. Je déteste peut-être un peu avoir froid. Même si la brise me fait à peine frissonner.

" Je peux t'accompagner quelque temps si tu veux quelqu'un pour changer régulièrement le pansement. Il suffit de sécher les Muyaphs pour les conserver. Les plonger plusieurs minutes dans l'eau pour qu'elles soient de nouveau aussi fraîches qu'avant. Il faudrait qu'on achète un onguent en ville, afin de pouvoir aider à la cicatrisation. Quant au fait de modifier mon voyage. Je fais ce qui me plait, je n'ai... Plus aucune attache. "

Les trois derniers mots s'échappent de mes lèvres après une déglutition pénible, je souris légèrement à Seven. Ce fameux sourire qu'on arbore tous pour faire croire que rien ne nous atteint, que tout va bien. Si ça se trouve ma présence le dérange ? Je ne dois pas m'attacher de toute façon. Je lui propose ça uniquement pour respecter ma promesse. Rien de plus. Rien de plus...
   
 

All I want is to feel a bit

   
Ouais, il a pas été très doux, pas du tout même… Mais peu importe, j’ai l’habitude. Je ne suis pas plus délicat que moi-même. Ensuite, une cicatrice de plus… J’en ai déjà tellement que ça me choque même plus. L’histoire qu’il me raconte m’intéresse beaucoup, par contre. Bien plus que la douleur qui me déchire l’épaule. Loup… Étrange comme nom.


“T’en fais pas pour les sutures… J’ai appris, à mes dépens, que de recoudre une plaie vieille de plusieurs jours, est une très mauvaise idée…”

Je sors de l’eau, me sèche une seconde fois pour encore une fois enfiler mon pantalon. Il me colle un peu à la peau et je dois un peu galérer pour le mettre convenablement. J’accepte les feuilles de Muyaphs et le place à sécher sur la branche de l’arbre. J’ai presque pitié de lui, avec ses ailes trempées. Ça doit peser une tonne… Je lui lance sa tunique à la figure en riant.


“Plus d’attaches, hmmm”

Je fredonne en songeant que moi non plus, je n’ai plus d’attaches. C’est limite étrange comment on se ressemble sur certains aspects. J’ai toujours aucune idée de qui il est vraiment, tout comme lui ne me connaît pas réellement non plus. Pourtant, il me propose de m’accompagner à cause d’une promesse. Je hausse les épaules en souriant. Comme Croutard ne veut pas me parler, un peu de compagnie me fait du bien. Ça me rappelle que je suis humain et que la solitude me pèse malgré le fait que j’ai l’habitude de voyager en solitaire.


“Je pense, que ce serait sympa de faire un bout de chemin ensemble.”

Il a presque l’air surpris. Amusant.


Je me sers du morceau de tissu qui m’a fait office de serviette improvisée pour l’aider à sécher ses ailes. Il se fige, mais ne dit rien. À force, il va penser que j’ai une obsession pour ses ailes. C’est étonnant qu’il galère autant à s’en servir. Genre, c’est un truc qui doit être inné, non ?


Quelques heures plus tard, on se dirige silencieusement vers le village le plus proche. Il n’y a pas grand-chose à voir et c’est presque le calme plat. Seuls quelques pêcheurs sont assis le long de la berge en train de pêcher leur précieux poisson. Il n’y a qu’une poignée de huttes et peu de chance de se trouver un logement pour la nuit. En fait, on a aucune chance de trouver un logement vu la taille des ailes d’Ash. Je rigole tout seul. Dormir à la belle étoile, c’est un peu mon truc préféré. J’aime regarder le ciel s’assombrir et révéler une multitude de petits points brillants.


Une affiche sur un piquet bancal attire mon regard. Je m’en approche et lis à haute voix pour que Ash puisse entendre.


“Disparue ; notre vieux chat Zobi, s’est volatilisé depuis quelques jours maintenant. Je m’inquiète pour sa santé et son bien-être. 10 Krakens d’or pour celui qui me le ramènera. Zobi est un chat au pelage noir et blanc. Il porte une marque distincte sur le dos qui a un peu la forme d’un papillon. Il a également un collier en crin de cheval tressé.”

Je regarde Ash en haussant un sourcil. Personnellement, je serais du genre à partir à la recherche du chat perdu, mais je ne sais pas si cela l’intéresse vraiment. C’est probablement mon côté félin qui me pousse à sauver ce pauvre chat. En fait, non, j’ai toujours été comme ça. Aider les animaux, c’est un peu ma façon de rectifié la balance de ce qui m’est arrivé en tant que gamin.
   
 

All I want is to feel a bit

   
C'est vrai, la suture tardive, c'est pas le meilleur plan. Encore plus si on a pas les compétences pour ça. Il me jette mes vêtements et je les attrape. J'étends mes ailes qui gouttent et je grogne, à force, je vais être plus proche d'un ours mal léché. Je pose mes vêtements devant moi et j'observe le ciel sans rien dire. Lui jetant un regard en biais alors qu'il sèche mes ailes.

Il a un problème avec mes ailes, c'est pas possible. Il faut toujours qu'il y touche, je détourne la tête en m'exprimant finalement à ce sujet.

" Tu sais. C'est genre... Extrêmement sensible ces... Trucs. T'es genre, le premier qui y touche. Je vais pas mentir, la sensation est... Étrange. "

Je m'exprime si bien. Incroyable. Franchement parfait. C'est difficile à décrire en même temps. Je m'étire et j'attends finalement quelques heures après avoir enfilé mon pantalon. Que mes ailes soient sèches avant de passer mes vêtements, un véritable enfer ça aussi. Je le suis jusqu'aux quelques baraques. Les vieux pêcheurs qui apprécient leur vie, reclus ici, sont posés au bord de l'eau et ne lève même pas les yeux de leur ligne alors qu'on passe.

Seven s'arrête pour lire un panneau. Un chat perdu, et ? Y'a pas écrit sauveur de chat sur ma tronche. Il s'attend à quoi. Je hausse les épaules, le bougre, il fait surement sa vie pas loin, il bouffe du poisson avec son ventre dodu tourné vers le soleil. J'ai déjà assez à faire avec moi-même. Je me détourne du panneau et me dirige vers le bord de l'île, ah j'aurais dû demander au vieux crouton de nous ramener... Je m'assois dans le sable. Est-ce que je peux traverser avec mes ailes ? Et en portant le nain ? En soi... Porter le petit, c'est pas difficile, voler droit, c'est plus dur.

" Va falloir attendre un peu que quelqu'un prenne la mer ou passe dans le coin… Au pire, je paierais un pêcheur pour qu'il nous aide à traverser. Je suis pas capable de voler… ⁣ "

J'observe l'eau qui va et vient, nullement motivé à l'idée de chercher un chat. Autant ça a l'air de l'emballer, que moi, je préfère m'assoir et attendre une opportunité.
   
 

All I want is to feel a bit

   
Je ne sais pas pourquoi, mais j’aurais dû me douter que partir à la recherche d’un chat, n’allait pas l’enchanter plus que ça. En attendant, c’est pas comme si on avait trente-six mille choses à faire dans ce bled paumé. Je me demande s’il va me suivre si je pars explorer les environs. Ou s’il compte rester assis là à regarder les poissons dans la flotte se faire chopper par les hameçons des pêcheurs. Un sourire en coin sur les lèvres, je me penche par-dessus son épaule et ses ailes massives.


“C’est beau, les vagues, le décor, les vieux croutons de pêcheurs et les poissons qui te regardent sans vraiment te voir, hmm ? Je peux tout à fait comprendre ! Je te laisse te divertir à ta façon, moi j’ai besoin de me dégourdir les jambes !”

Je me redresse et me dirige d’un pas amusé vers l’affiche pour la fourrer dans ma poche pour plus tard. Je compte bien retrouver ce chat, qu’il m’accompagne ou non. On n'a rien à foutre de toute façon. Je lui lance un regard sournois par-dessus mon épaule et m’aventure plus loin sur la plage. Le sable, c’est pas super génial quand on porte un pantalon pareil ! Je dois presque faire des bonds pour ne pas trop m’enfoncer dans le sable. Je déteste le sable… Je le déteste… Comme Ash ne me suit pas, en tout cas pas au premier abord, je me tourne vers Croutard qui court pour une fois à côté de moi. Au moins un qui me suit !


“Alors comme ça, tu changes de camps quand ça t’arrange, hein ?”

Il ricane à sa manière et me grimpe le long de la jambe pour finalement s’enfoncer dans sa poche attitrée. Jusque-là, la bonne compagnie… Je jure que je suis agile en général, mais là, je dois admettre que je galère un peu. Mon épaule meurtrie ne m’aide pas non plus. Je regarde autour de moi, dans l’espoir d’apercevoir une boule de poile noir, mais rien ne me saute aux yeux. Il ne peut pas être très loin, vu le coin perdu.


Il n’y a pas grand-chose à voir ici, quelques rochers au milieu d’une plage de sable interminable, quelques arbres qui ont plus l’air d’avoir atterri ici par pur hasard, quelques coquillages sympas et colorés, et c’est à peu près tout. Je ne vois pas trop ce que les touristes trouvent d’intéressant à se languir sur une plage de sable au bord de l’eau. C’est vrai, le sable, ça te gratte le cul, ça vient se foutre partout dans tes vêtements, et ça te colle à la peau. Franchement, c’est le max ! J'attrape un bâton solitaire en grognant de frustration et m’installe sur un gros rocher que je viens de trouver et tourne le dos au lac. Je me mets à dessiner des trucs dans le sable pour passer un peu le temps et me distraire de la douleur lancinante dans le dos. Je suis un peu perdu dans mes pensées et ne m’attendais pas à voir bondir un chat noir sur mon crayon improvisé.


“Bah, finalement, t’étais pas si perdu que ça, petit con.”

Le chat me regarde avec curiosité avant de s’asseoir sur son postérieur bien grassouillet.


“Perdu ? Moi ?”

Il lèche sa patte avant avec minutie, sans me quitter des yeux. Je hausse un sourcil en me rapprochant un peu plus de lui. C’est la première fois qu’un animal parvient à me répondre aussi clairement.


“La vieille folle poste l’affiche que tu as dans ta poche toutes les semaines. C’est pas que je l’aime pas, mais parfois, elle me gonfle, avec ces petits nœuds papillons et ces costumes bidon qu’elle m’impose. Alors, je pars me balader de temps en temps pour me changer les idées et prendre l’air.”

Je ris ouvertement et me plie en deux. J’ai limite pitié de lui tout d’un coup. Effarant qu’il sache également que j’ai l’affiche dans ma poche. Mais c’est pas la première fois que ce genre de chose étrange arrive en communiquant avec les animaux. Ils savent parfois des choses que personne ne pense possible.


“Donc, inutile de te ramener chez toi, je suppose.”

Ricanais-je en m’étirant sur le rocher. Le chat me sourit et s’en retourne tout en dandinant son popotin imposant. Les animaux me fascinent. Et Ash, d’une certaine façon aussi… Je fixe le ciel, contemplatif.  Il ne sait pas voler… Je me demande pourquoi. Ses ailes ont l’air en bon état pourtant.


Et sensible…
   
 

All I want is to feel a bit

   
Je regarde Seven s'éloigner. Non pas que je n'apprécie pas observer les alentours, quelque chose me dit qu'il n'a pas envie d'attendre. Un haussement d'épaules accompagne le saut du petit rat de mon épaule. Je le suis de mes yeux jusqu'à ce qu'il atteigne le nabot. L'eau est magnifique ici. Je soupire, bizarrement, ça me fait du bien d'un côté. J'étends mes ailes. Ces stupides tas de plumes que je suis pas foutu d'utiliser correctement. Je sers à quoi en tant que séraphin sans rire. Je regarde ma guitare, il y a que ça, qui survit au temps, mon amour pour la musique.

Je commence à gratter les cordes en observant l'eau. Je teste quelques accords, commençant à faire chanter l'instrument, une nouvelle mélodie, une nouvelle chanson ? Probablement, une qui rejoindra toutes celles que je n'ose pas interpréter. Se servir de quelqu'un qu'on connaît à peine comme inspiration, cela pourrait porter à confusion, puis… Nous ne sommes pas assez proches pour que je puisse l'interpréter. Pourtant, je chante, toutes les paroles me viennent comme coule l'eau d'une rivière. Emporté par ces notes, je me laisse à vagabonder entre inspiration et souvenirs.

Je ne devrais pas mélanger mes souvenirs et ce que je vis actuellement. Je fais mourir les notes de musique en même temps que ma voix. Croisant les bras sur mes jambes que je remonte contre mon torse, appuyant ma tête dessus pour observer l'horizon. C'est là que j'ai constaté que je n'étais pas seul. Lui adressant un petit signe de la main, la silhouette a instantanément plongé sous la surface. Je suppose que je perturbe son calme avec mes musiques à deux balles. Je me lève donc, en direction des pêcheurs, ma guitare à la main.

L'un d'eux retire son chapeau et me salue. Je discute un peu avec eux, l'un d'eux se levant pour aller chercher des brochettes de poisson sur le grill. Il m'en tend deux avec un petit sourire. Il sait déjà que je suis pas seul dans le coin, il a dû nous voir avec Seven. Il n'y a que peu d'activité dans le coin, alors deux jeunes gens qui sont par ici…

" Vous savez, quand il y aura un bateau partant d'ici ? ⁣
- Tout à l'heure, je dois aller acheter ce que je ne peux obtenir ici au port. "

Je le remercie en glissant ma guitare par-dessus mon épaule, celle-ci rejoignant mon sac. Il me crie de profiter et de revenir si on a faim. Aussi, il nous attend au couché du soleil. Je le remercie chaudement en prenant la suite de Seven. Suivant les pas dans le sable jusqu'à le retrouver. Rejoignant finalement le petit gars qui me sert malgré lui de compagnon de route. Je lui tends l'une des brochettes. Croquant à pleines dents dans celle entre mes mains.

" Il y a un pêcheur qui repart ce soir d'ici. Il nous emmène au port, si tu veux. Il nous offre ces brochettes aussi. Ils sont cool les gens ici. Même si la plupart aiment leur tranquillité. ⁣"

Pour la dernière phrase, je repensais à cette silhouette qui s'accordait avec l'eau, silhouette qui a immédiatement plongé en comprenant que j'avais remarqué sa présence. Une énigme supplémentaire sur ce vaste monde.